Réalisateur | Moullet Luc |
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"L’arrière-petit-neveu du bisaïeul de ma trisaïeule avait tué un jour à coups de pioche le maire du village, sa femme et le garde-champêtre, coupable d’avoir déplacé sa chèvre de dix mètres. Ça me fournissait un bon point de départ..." dit Luc Moullet.
Originaire des Alpes du Sud, le cinéaste a constaté que les cas de troubles mentaux étaient particulièrement nombreux dans cette région. Meurtres, corps découpés en morceaux, suicides, immolations, à travers sa famille, ses proches et les différentes "affaires" des cent dernières années, Moullet étudie les causes et les conséquences de ces phénomènes psychiques locaux.
Cinq punaises plantées sur une carte des Alpes du Sud et un élastique tendu entre elles : c’est ainsi que Luc Moullet plante son « pentagone de la folie », soit le pays gavot, 6 000 kilomètres carrés où il y aurait - selon ses recherches – le plus grand ratio de cas de folies en France. Certes l’élastique ne forme pas un pentagone parfait, il est un peu tordu... mais y a-t-il jamais eu quelque chose de régulier chez Moullet ? Ce dispositif minimaliste de représentation résume parfaitement les deux grands aspects de son cinéma : une étude complètement arbitraire (même si le cinéaste s’en défend avec humour) qui vient du regard décalé que porte le cinéaste sur le monde et la société, et un goût sincère pour le bricolage et l’imprévu, à l’image de cette punaise qui à un moment saute et transforme soudain le pentagone en rectangle. Moullet nous emporte donc dans une de ces théories abracadabrantes dont il a le secret, aussi précise et circonstanciée que profondément douteuse. On ne sait jamais trop où se situer : a-t-on affaire à un délire ou à un documentaire ? Rien ne nous l’indique d’autant que l’espiègle narrateur brouille sciemment les pistes.
Moullet, qui connaît cette région comme sa poche (elle est devenue sa terre d’adoption depuis ses quatorze ans), s’amuse à recenser un certain nombre de cas de folies, de meurtres ou de suicides qui ont eu lieu entre ces cinq points. On retrouve là aussi une grande constante de son cinéma : le goût pour les listes, « La Terre de la folie » se posant même comme l’un des sommets de cet art de l’énumération loufoque. Le film fait ainsi se succéder une trentaine d’habitants du cru qui racontent des scènes tragicomiques dont ils ont été les témoins ou dont ils ont entendu parler.
Moullet ne filme pas les fous, juste la façon dont la folie est perçue dans la population. Et même s’il ne filme pas des psychotiques, l’accumulation d’histoires saugrenues, inquiétantes, loufoques, tragiques fait que l’on a l’impression que toute forme de normalité a disparu dans cette région au profit d’un délire généralisé.
« La Terre de la folie » est, comme on pouvait s’y attendre de la part du plus hurluberlu de nos cinéastes, un documentaire décalé dont on ne sait jamais vraiment s’il faut prendre les éléments qui le constituent au premier ou au second degré. Il y a toujours chez Moullet cette part de doute qui fait que l’on se demande régulièrement s’il est sérieux ou s’il s’amuse, si son humour est involontaire ou recherché, s’il cherche à nous faire peur ou à nous faire marrer. Lorsqu’il raconte que « l’arrière-petit-neveu du bisaïeul de sa trisaïeule » a massacré à coups de pioche trois personnes parce que l’on avait déplacé sa chèvre de dix mètres, on peine à étouffer son fou rire mais, il n’empêche, l’histoire est particulièrement glauque. Si le film sème le trouble, c’est qu’il est très documenté, très précis, notamment dans la façon qu’a Moullet de replacer les affaires dans leur contexte historique ou social ou encore lorsqu’il propose des éléments d’explication à ce vent de folie qui souffle sur les gavots : le vent, justement, qui provoque le syndrome de Tarifa, le fait que le pays - qui reste reculé et peu accessible - attire les marginaux en tous genres, ou encore la tradition (« puisque untel a tué, pourquoi pas moi ? »).
Mais à cette démarche très sérieuse s’oppose constamment l’absurdité de la proposition première du film. Celui-ci est en outre mené par les commentaires délicieusement pince-sans-rire de Moullet auxquelles répondent les interventions de spécialistes du sujet, véritables ou auto-proclamés comme le critique Jacques Zimmer. Sans oublier cet incroyable petit bout de femme à la diction d’une mitraillette qui semble parvenir à parler aussi vite qu’elle ne pense et dont le rythme prestissimo forme un contrepoint parfait à celui rubato de Moullet, le duo nous offrant alors des moments de pur régal auditif. Des séquences aussi réjouissantes, surprenantes, le film en regorge ; et si « La Terre de la folie » reste une proposition de cinéma farfelue et décalée, c’est surtout une œuvre très simple et qui à ce titre se révèle être une porte d’entrée parfaite dans l’univers de Luc Moullet.
Olivier Bitoun (DVD Classik)
Le Nouvel Obs : Une folie contaminante, aussi douce que gouleyante.
Le Monde : La Terre de la folie évoque d’une certaine manière Terre sans pain, documentaire à la cruauté surréaliste de Luis Buñuel, revisité en la circonstance par l’art combinatoire de Georges Perec.
L’Humanité : Luc Moullet et son burlesque à bas bruit font mouche.
Télérama : Jeu de pistes dans des montagnes fertiles en crimes dingos. Macabre ? non, marrant !"
Réalisation : Luc Moullet
Image : Pierre Stoeber
Son : Olivier Schwob
Montage : Anthony Verpoort
"L’arrière-petit-neveu du bisaïeul de ma trisaïeule avait tué un jour à coups de pioche le maire du village, sa femme et le garde-champêtre, coupable d’avoir déplacé sa chèvre de dix mètres. Ça me fournissait un bon point de départ..." dit Luc Moullet.
Originaire des Alpes du Sud, le cinéaste a constaté que les cas de troubles mentaux étaient particulièrement nombreux dans cette région. Meurtres, corps découpés en morceaux, suicides, immolations, à travers sa famille, ses proches et les différentes "affaires" des cent dernières années, Moullet étudie les causes et les conséquences de ces phénomènes psychiques locaux.
Cinq punaises plantées sur une carte des Alpes du Sud et un élastique tendu entre elles : c’est ainsi que Luc Moullet plante son « pentagone de la folie », soit le pays gavot, 6 000 kilomètres carrés où il y aurait - selon ses recherches – le plus grand ratio de cas de folies en France. Certes l’élastique ne forme pas un pentagone parfait, il est un peu tordu... mais y a-t-il jamais eu quelque chose de régulier chez Moullet ? Ce dispositif minimaliste de représentation résume parfaitement les deux grands aspects de son cinéma : une étude complètement arbitraire (même si le cinéaste s’en défend avec humour) qui vient du regard décalé que porte le cinéaste sur le monde et la société, et un goût sincère pour le bricolage et l’imprévu, à l’image de cette punaise qui à un moment saute et transforme soudain le pentagone en rectangle. Moullet nous emporte donc dans une de ces théories abracadabrantes dont il a le secret, aussi précise et circonstanciée que profondément douteuse. On ne sait jamais trop où se situer : a-t-on affaire à un délire ou à un documentaire ? Rien ne nous l’indique d’autant que l’espiègle narrateur brouille sciemment les pistes.
Moullet, qui connaît cette région comme sa poche (elle est devenue sa terre d’adoption depuis ses quatorze ans), s’amuse à recenser un certain nombre de cas de folies, de meurtres ou de suicides qui ont eu lieu entre ces cinq points. On retrouve là aussi une grande constante de son cinéma : le goût pour les listes, « La Terre de la folie » se posant même comme l’un des sommets de cet art de l’énumération loufoque. Le film fait ainsi se succéder une trentaine d’habitants du cru qui racontent des scènes tragicomiques dont ils ont été les témoins ou dont ils ont entendu parler.
Moullet ne filme pas les fous, juste la façon dont la folie est perçue dans la population. Et même s’il ne filme pas des psychotiques, l’accumulation d’histoires saugrenues, inquiétantes, loufoques, tragiques fait que l’on a l’impression que toute forme de normalité a disparu dans cette région au profit d’un délire généralisé.
« La Terre de la folie » est, comme on pouvait s’y attendre de la part du plus hurluberlu de nos cinéastes, un documentaire décalé dont on ne sait jamais vraiment s’il faut prendre les éléments qui le constituent au premier ou au second degré. Il y a toujours chez Moullet cette part de doute qui fait que l’on se demande régulièrement s’il est sérieux ou s’il s’amuse, si son humour est involontaire ou recherché, s’il cherche à nous faire peur ou à nous faire marrer. Lorsqu’il raconte que « l’arrière-petit-neveu du bisaïeul de sa trisaïeule » a massacré à coups de pioche trois personnes parce que l’on avait déplacé sa chèvre de dix mètres, on peine à étouffer son fou rire mais, il n’empêche, l’histoire est particulièrement glauque. Si le film sème le trouble, c’est qu’il est très documenté, très précis, notamment dans la façon qu’a Moullet de replacer les affaires dans leur contexte historique ou social ou encore lorsqu’il propose des éléments d’explication à ce vent de folie qui souffle sur les gavots : le vent, justement, qui provoque le syndrome de Tarifa, le fait que le pays - qui reste reculé et peu accessible - attire les marginaux en tous genres, ou encore la tradition (« puisque untel a tué, pourquoi pas moi ? »).
Mais à cette démarche très sérieuse s’oppose constamment l’absurdité de la proposition première du film. Celui-ci est en outre mené par les commentaires délicieusement pince-sans-rire de Moullet auxquelles répondent les interventions de spécialistes du sujet, véritables ou auto-proclamés comme le critique Jacques Zimmer. Sans oublier cet incroyable petit bout de femme à la diction d’une mitraillette qui semble parvenir à parler aussi vite qu’elle ne pense et dont le rythme prestissimo forme un contrepoint parfait à celui rubato de Moullet, le duo nous offrant alors des moments de pur régal auditif. Des séquences aussi réjouissantes, surprenantes, le film en regorge ; et si « La Terre de la folie » reste une proposition de cinéma farfelue et décalée, c’est surtout une œuvre très simple et qui à ce titre se révèle être une porte d’entrée parfaite dans l’univers de Luc Moullet.
Olivier Bitoun (DVD Classik)
Le Nouvel Obs : Une folie contaminante, aussi douce que gouleyante.
Le Monde : La Terre de la folie évoque d’une certaine manière Terre sans pain, documentaire à la cruauté surréaliste de Luis Buñuel, revisité en la circonstance par l’art combinatoire de Georges Perec.
L’Humanité : Luc Moullet et son burlesque à bas bruit font mouche.
Télérama : Jeu de pistes dans des montagnes fertiles en crimes dingos. Macabre ? non, marrant !"
Réalisation : Luc Moullet
Image : Pierre Stoeber
Son : Olivier Schwob
Montage : Anthony Verpoort
La terre de la folie