Réalisateur | Azam Olivier |
Partager sur |
Entretien avec Nadia Genet, réalisatrice de Aimer la vie
Elvis Presley va mourir, je nais punk et bourbonnaise de parents algériens en 1977. J’ai 15 ans lors de ma renaissance à Londres en photographiant des musiciens de rue ; l’application de la peine de mort aux États-Unis m’empêche de dormir, j’adhère à Amnesty International, organise des concerts pour sensibiliser sur le sujet les copains entre deux joints. La musique m’habite, je crée une émission de radio pour mettre en ondes le désespoir métallique des zicos du coin inspirés par des guns et des roses, c’est le Nirvana. Entre deux pogos, j’obtiens un bac théâtre dont je ne fais rien d’intéressant puisque je n’ai pas vraiment le temps d’hésiter. Je prends le train de 6h20 et Paris me prend dans ses bras. Je travaille dans un théâtre privé, puis en prison où je monte un atelier théâtre pour des détenus mineurs. Je découvre la radicalité urbaine, la brutalité de sa langue, j’aimerais rendre ce monde plus beau mais je suis bien mal armée. J’ai 20 ans. Mon innocence un minimum éraflée, mes désillusions dans la poche, je continue de grandir sur une île aux Antilles en épousant un marin-pêcheur. Marie-Galante m’écrit, j’apprends à parler créole, photographie, travaille pour le salon du livre de la Guadeloupe, découvre la littérature caribéenne et cette histoire française plus noire que ses esclaves. J’ai 25 ans et l’honneur d’être jurée pour le Prix de la Jeunesse au festival de Cannes, le marché du film ; je précise pour mon papa qui du coup me file 100 balles pour lui en acheter un. Je vieillis, Marie-Galante rétrécit. À deux doigts de mourir d’ennui et d’asphyxie, je quitte la bouteille de Rhum de mon mari et entreprends de faire du ciel le plus bel endroit de la terre en devenant hôtesse de l’air, j’ai 30 ans.
En escale, j’enregistre le son des vies qui ne se rencontrent pas, la vie des gens d’en face et photographie leurs inaliénables singularités. Quand soudain, à force de trop bien voir le monde, je suis heurtée par le désespoir d’une région à la dérive à l’est du Tchad. J’entreprends la construction d’un pont photographique entre nos mondes, tentant ainsi de réduire un peu cette distance qui pourrait faire croire que cela ne nous concerne pas. Entre le son et l’image, je ne choisis pas et me forme au film documentaire aux Ateliers Varan. Je rencontre Hellyette, l’histoire commence à s’écrire, ma prime de licenciement devient caméra. Inspirée par des non-visibles que j’aimerais mettre en lumière et l’espoir de chanter en images la beauté polyphonique des couleurs qui font une vie. De ma façon de voir le monde en faire tout plein de films et rien de moins. J’ai 43 ans et tout le reste de ma vie.
Entretien avec Nadia Genet, réalisatrice de Aimer la vie
Elvis Presley va mourir, je nais punk et bourbonnaise de parents algériens en 1977. J’ai 15 ans lors de ma renaissance à Londres en photographiant des musiciens de rue ; l’application de la peine de mort aux États-Unis m’empêche de dormir, j’adhère à Amnesty International, organise des concerts pour sensibiliser sur le sujet les copains entre deux joints. La musique m’habite, je crée une émission de radio pour mettre en ondes le désespoir métallique des zicos du coin inspirés par des guns et des roses, c’est le Nirvana. Entre deux pogos, j’obtiens un bac théâtre dont je ne fais rien d’intéressant puisque je n’ai pas vraiment le temps d’hésiter. Je prends le train de 6h20 et Paris me prend dans ses bras. Je travaille dans un théâtre privé, puis en prison où je monte un atelier théâtre pour des détenus mineurs. Je découvre la radicalité urbaine, la brutalité de sa langue, j’aimerais rendre ce monde plus beau mais je suis bien mal armée. J’ai 20 ans. Mon innocence un minimum éraflée, mes désillusions dans la poche, je continue de grandir sur une île aux Antilles en épousant un marin-pêcheur. Marie-Galante m’écrit, j’apprends à parler créole, photographie, travaille pour le salon du livre de la Guadeloupe, découvre la littérature caribéenne et cette histoire française plus noire que ses esclaves. J’ai 25 ans et l’honneur d’être jurée pour le Prix de la Jeunesse au festival de Cannes, le marché du film ; je précise pour mon papa qui du coup me file 100 balles pour lui en acheter un. Je vieillis, Marie-Galante rétrécit. À deux doigts de mourir d’ennui et d’asphyxie, je quitte la bouteille de Rhum de mon mari et entreprends de faire du ciel le plus bel endroit de la terre en devenant hôtesse de l’air, j’ai 30 ans.
En escale, j’enregistre le son des vies qui ne se rencontrent pas, la vie des gens d’en face et photographie leurs inaliénables singularités. Quand soudain, à force de trop bien voir le monde, je suis heurtée par le désespoir d’une région à la dérive à l’est du Tchad. J’entreprends la construction d’un pont photographique entre nos mondes, tentant ainsi de réduire un peu cette distance qui pourrait faire croire que cela ne nous concerne pas. Entre le son et l’image, je ne choisis pas et me forme au film documentaire aux Ateliers Varan. Je rencontre Hellyette, l’histoire commence à s’écrire, ma prime de licenciement devient caméra. Inspirée par des non-visibles que j’aimerais mettre en lumière et l’espoir de chanter en images la beauté polyphonique des couleurs qui font une vie. De ma façon de voir le monde en faire tout plein de films et rien de moins. J’ai 43 ans et tout le reste de ma vie.