Réalisateur | Berrou Jean-Hugues |
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Rimbaud au Panthéon ? La proposition fait sourire tous ceux qui connaissent le rapport aux institutions du plus libre des poètes. En 2006, la municipalité de Charleville-Mézières m’a invité à vivre quatre mois dans la maison où il a vécu. Je n’ai pas cherché à traquer sa poésie dans la ville, ni à comprendre pourquoi il est si souvent parti. Que ce soit à Charleville où ailleurs, Rimbaud n’est jamais vraiment là, et encore moins dans le lit qu’on lui a préparé.
Compétition Française - Cinéma du réel (2007)
Rimbaud n’est pas mort, il vit parmi nous. À Charleville-Mézières, sa tombe est l’objet de toutes les sollicitudes : de la municipalité aux admirateurs de son œuvre, de son fan-club mondial au facteur qui lui apporte son courrier. On rencontre aussi dans la ville des personnages qui voient le monde comme un réseau de correspondances inouïes et d’analogies fulgurantes, du SDF passionné de livres à l’archéologue amateur qui trouve dans les fossiles les sources du génie de l’auteur du Bateau ivre.
Sa tombe est devenue l’autel de curieuses cérémonies, d’hommages « touristico-gothiques » où chacun y va de son rituel, le lieu de rendez-vous d’une vaste confrérie où les âges, les milieux, les nationalités, les classes sociales se côtoient en s’ignorant. Seuls les deux ouvriers du cimetière savent. Pour eux aussi, Rimbaud continue à vivre, mais d’une manière plus intime, plus intérieure. Ce n’est pas un dieu littéraire qu’on encense, ni un mort-vivant avec qui on vient faire la fête, c’est une tombe parmi d’autres, qu’il faut entretenir et orner de fleurs. Rimbaud fait partie de leurs morts, de leur famille. Leur regard prosaïque est aussi plus juste, plus sensible, plus complice. Rimbaud, c’est d’abord ces deux tombes identiques du poète et de sa mère, dont le côte à côte perpétuel résume ad æternam, en un raccourci cruel, la tragédie de son existence. La monumentalité littéraire de Rimbaud se résume, à leurs yeux, à une sobre dalle blanche qui ne se distingue guère des autres, et qu’on ne remarquerait pas si le nom du poète n’y était pas gravé. Si la platitude des vers au cher disparu d’une tombe voisine les touche plus que la poésie de Rimbaud, ils savent par contre comment la terre ronge les cercueils et les corps. Ils la ressentent si bien, cette terre, qu’ils n’imaginent pas ne pas y être inhumés à leur tour. De fait, ils sont les seuls à s’intéresser vraiment à la dernière demeure de Rimbaud – à la voir non pas comme une fosse mais comme un jardin. (Yann Lardeau)
Jean-Hugues Berrou, photographe, est l’auteur de plusieurs albums et études iconographiques. Il a co-écrit, avec Jean-Jacques Lefrère, trois ouvrages sur les voyages d’Arthur Rimbaud (éditions Fayard) : Rimbaud à Aden (2001), Rimbaud au Harar (2002), Rimbaud ailleurs (2004). Il a aussi réalisé Che Guevara, la fabrique d’une icône disponible sur Cinémutins.
Rimbaud au Panthéon ? La proposition fait sourire tous ceux qui connaissent le rapport aux institutions du plus libre des poètes. En 2006, la municipalité de Charleville-Mézières m’a invité à vivre quatre mois dans la maison où il a vécu. Je n’ai pas cherché à traquer sa poésie dans la ville, ni à comprendre pourquoi il est si souvent parti. Que ce soit à Charleville où ailleurs, Rimbaud n’est jamais vraiment là, et encore moins dans le lit qu’on lui a préparé.
Compétition Française - Cinéma du réel (2007)
Rimbaud n’est pas mort, il vit parmi nous. À Charleville-Mézières, sa tombe est l’objet de toutes les sollicitudes : de la municipalité aux admirateurs de son œuvre, de son fan-club mondial au facteur qui lui apporte son courrier. On rencontre aussi dans la ville des personnages qui voient le monde comme un réseau de correspondances inouïes et d’analogies fulgurantes, du SDF passionné de livres à l’archéologue amateur qui trouve dans les fossiles les sources du génie de l’auteur du Bateau ivre.
Sa tombe est devenue l’autel de curieuses cérémonies, d’hommages « touristico-gothiques » où chacun y va de son rituel, le lieu de rendez-vous d’une vaste confrérie où les âges, les milieux, les nationalités, les classes sociales se côtoient en s’ignorant. Seuls les deux ouvriers du cimetière savent. Pour eux aussi, Rimbaud continue à vivre, mais d’une manière plus intime, plus intérieure. Ce n’est pas un dieu littéraire qu’on encense, ni un mort-vivant avec qui on vient faire la fête, c’est une tombe parmi d’autres, qu’il faut entretenir et orner de fleurs. Rimbaud fait partie de leurs morts, de leur famille. Leur regard prosaïque est aussi plus juste, plus sensible, plus complice. Rimbaud, c’est d’abord ces deux tombes identiques du poète et de sa mère, dont le côte à côte perpétuel résume ad æternam, en un raccourci cruel, la tragédie de son existence. La monumentalité littéraire de Rimbaud se résume, à leurs yeux, à une sobre dalle blanche qui ne se distingue guère des autres, et qu’on ne remarquerait pas si le nom du poète n’y était pas gravé. Si la platitude des vers au cher disparu d’une tombe voisine les touche plus que la poésie de Rimbaud, ils savent par contre comment la terre ronge les cercueils et les corps. Ils la ressentent si bien, cette terre, qu’ils n’imaginent pas ne pas y être inhumés à leur tour. De fait, ils sont les seuls à s’intéresser vraiment à la dernière demeure de Rimbaud – à la voir non pas comme une fosse mais comme un jardin. (Yann Lardeau)
Jean-Hugues Berrou, photographe, est l’auteur de plusieurs albums et études iconographiques. Il a co-écrit, avec Jean-Jacques Lefrère, trois ouvrages sur les voyages d’Arthur Rimbaud (éditions Fayard) : Rimbaud à Aden (2001), Rimbaud au Harar (2002), Rimbaud ailleurs (2004). Il a aussi réalisé Che Guevara, la fabrique d’une icône disponible sur Cinémutins.
Praline