Réalisateur | Charf Hejer |
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Bice Béatrice Slama, 95 ans, Tunisienne, communiste, juive, féministe, spécialiste de la littérature des femmes. Elle a traversé activement les mouvements politiques du vingtième siècle. Elle raconte le parti communiste tunisien et la jeunesse juive et arabe qui se découvrait dans la fraternité et l’amour ; sa lutte pour l’indépendance de la Tunisie, le départ forcé des Juifs, Mai 68, l’aventure de l’université de Vincennes. L’amour, le désir, la sexualité selon Colette, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras sont longuement évoqués et demeurent d’une actualité brûlante. L’histoire du féminisme est dite avec les mots de Christine de Pizan et Hubertine Auclert et par les œuvres des femmes dans le cinéma, la photographie, la peinture à travers les siècles. Béatrice, une vie d’engagement et de savoir.
« J’ai pleuré presque tout le temps. J’ai trouvé ça magnifique vraiment magnifique... Il n’y a que du savoir, de la sagesse, de l’intelligence... J’ai pleuré aussi à des choses cinématographiques, de la poésie cinématographique. C’est une source d’abondance, c’est une bibliothèque... »
Hejer Charf est réalisatrice et productrice canadienne d’origine tunisienne. Elle a fondé Nadja Productions à Montréal, en 1996. Elle a réalisé plusieurs courts, moyens et longs métrages et des installations visuelles. Elle a produit Victoria, une fiction écrite, réalisée et interprétée par Anna Karina. Elle a produit les concerts d’Anna Karina et Philippe Katerine au Québec. Hejer Charf publie des articles portant sur l’art et la politique. Pour en savoir plus hejercharf.com
Nous sommes Tunisiennes. Elle, juive. Moi, musulmane. Son regard engagé, généreux et savant sur le monde étend à l’infini les religions et le pays que nous avons toutes les deux quittés.
J’ai connu Bice Béatrice Slama à Paris en 2016, elle avait 93 ans, elle est venue voir mon film, Autour de Maïr qui parlait de la littérature des femmes. Elle a pris la parole en premier : « Je vais laisser mes camarades parler de féminisme ; j’aimerais parler de la forme du film et de ce long plan noir qui rappelle le cinéma de Duras. » J’étais tout de suite emballée et séduite. Deux jours après, je dînais chez elle à Vincennes. J’en suis sortie troublée, impressionnée par sa présence précise, par sa parole concise, érudite, sans nostalgie ou amertume. Elle mettait son histoire dans la grande Histoire et répétait la phrase de Sartre : « À moitié victimes, à moitié complices, comme tout le monde. » Elle m’a parlé de sa passion des livres, du parti communiste tunisien et de la jeunesse juive et arabe qui se découvrait dans la fraternité et l’amour, de son combat pour l’indépendance de la Tunisie, des maisons dont elle a été expropriée parce qu’elle était juive, de son départ pour la France, de Mai 68 où elle renaît comme militante, de l’aventure de l’université de Vincennes, de Colette qu’elle aimait tant, des textes féministes, de ses amies : Madeleine Rebérioux, Hélène Cixous, ...
Trois jours après, je suis retournée avec une petite caméra pour préparer l’enregistrement de ce concentré d’histoire. Bice Béatrice Slama est résolument politique et profondément littéraire. Une vie discrète qui a traversé activement le 20ème siècle. Je voulais le retraverser avec elle. Je voulais lui donner tout l’espace, toute la durée du film. Je l’ai prévenue qu’elle serait la seule intervenante du long-métrage et je serai seule derrière la caméra.
Béatrice restera en vie jusqu’à la fin du film. Pendant que je montais le film à Montréal, elle m’alertait de temps en temps qu’elle ne pouvait plus attendre. Je suis allée lui montrer le film en septembre 2018, je me suis allongée auprès d’elle sur son lit médicalisé. Elle a regardé sans interruption les 97 minutes. Elle m’a regardée et m’a pris la main. Bice Béatrice Slama est morte quelques jours après.
Elle me disait que nos vies, nos corps finissent et qu’il n'y a plus rien après, ni au-delà ni ciel. Elle parlait de la mort avec évidence, sans crainte. Pendant le tournage du départ de la Tunisie, elle m’a dit : « Au moment du départ, la première chose que je me suis dite : Mais je ne serai pas enterrée au Borgel ! » Les larmes me sont montées, j’ai baissé la tête, on ne voulait pas de larmes dans le film, elle a repris la parole avec sa sobriété habituelle. Cette phrase et les autres qui lui ressemblent, ne sont pas dans le film ; elles sont dans le hors champs, dans une présence souterraine qui traversent tout le film. Béatrice m’a inspiré cela : ne pas trop dire, ne pas trop montrer, mettre notre histoire dans la grande Histoire. Tenir nos douleurs à l’arrière-plan pour laisser place à l’avenir. Et devant l’effondrement des idées qui l’ont portée, elle continuait à dire : « J’ose espérer un sursaut d’humanisme. »
Réalisation / Image / Montage : Hejer Charf
Assistante sur le film et coordinatrice de production : Nadine Ltaif
Montage son et mixage : Patric Favreau
Montage en ligne : Yannick Carrier
Titres et conception graphique : Cynthia Ouellet
Infographie : Mélanie Bouchard - Jacques Bertrand Simard
Technicienne au montage numérique : Isabelle Painchaud
Technicien au son numérique : Sylvain Cajelais
Coordonnatrice de postproduction (ACIC) : Marie-Christine Guité
Productrice (ACIC) : Johanne Bergeron
Musique : Chris Zabriskie -Claudio Monteverdi - Vivaldi- Rachmaninov – Chants révolutionnaires – Berlioz - Saliha
Produit par Nadja Productions Inc. avec l’Aide au cinéma indépendant du Canada de l’Office national du film du Canada (ACIC /ONF
Bice Béatrice Slama, 95 ans, Tunisienne, communiste, juive, féministe, spécialiste de la littérature des femmes. Elle a traversé activement les mouvements politiques du vingtième siècle. Elle raconte le parti communiste tunisien et la jeunesse juive et arabe qui se découvrait dans la fraternité et l’amour ; sa lutte pour l’indépendance de la Tunisie, le départ forcé des Juifs, Mai 68, l’aventure de l’université de Vincennes. L’amour, le désir, la sexualité selon Colette, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras sont longuement évoqués et demeurent d’une actualité brûlante. L’histoire du féminisme est dite avec les mots de Christine de Pizan et Hubertine Auclert et par les œuvres des femmes dans le cinéma, la photographie, la peinture à travers les siècles. Béatrice, une vie d’engagement et de savoir.
« J’ai pleuré presque tout le temps. J’ai trouvé ça magnifique vraiment magnifique... Il n’y a que du savoir, de la sagesse, de l’intelligence... J’ai pleuré aussi à des choses cinématographiques, de la poésie cinématographique. C’est une source d’abondance, c’est une bibliothèque... »
Hejer Charf est réalisatrice et productrice canadienne d’origine tunisienne. Elle a fondé Nadja Productions à Montréal, en 1996. Elle a réalisé plusieurs courts, moyens et longs métrages et des installations visuelles. Elle a produit Victoria, une fiction écrite, réalisée et interprétée par Anna Karina. Elle a produit les concerts d’Anna Karina et Philippe Katerine au Québec. Hejer Charf publie des articles portant sur l’art et la politique. Pour en savoir plus hejercharf.com
Nous sommes Tunisiennes. Elle, juive. Moi, musulmane. Son regard engagé, généreux et savant sur le monde étend à l’infini les religions et le pays que nous avons toutes les deux quittés.
J’ai connu Bice Béatrice Slama à Paris en 2016, elle avait 93 ans, elle est venue voir mon film, Autour de Maïr qui parlait de la littérature des femmes. Elle a pris la parole en premier : « Je vais laisser mes camarades parler de féminisme ; j’aimerais parler de la forme du film et de ce long plan noir qui rappelle le cinéma de Duras. » J’étais tout de suite emballée et séduite. Deux jours après, je dînais chez elle à Vincennes. J’en suis sortie troublée, impressionnée par sa présence précise, par sa parole concise, érudite, sans nostalgie ou amertume. Elle mettait son histoire dans la grande Histoire et répétait la phrase de Sartre : « À moitié victimes, à moitié complices, comme tout le monde. » Elle m’a parlé de sa passion des livres, du parti communiste tunisien et de la jeunesse juive et arabe qui se découvrait dans la fraternité et l’amour, de son combat pour l’indépendance de la Tunisie, des maisons dont elle a été expropriée parce qu’elle était juive, de son départ pour la France, de Mai 68 où elle renaît comme militante, de l’aventure de l’université de Vincennes, de Colette qu’elle aimait tant, des textes féministes, de ses amies : Madeleine Rebérioux, Hélène Cixous, ...
Trois jours après, je suis retournée avec une petite caméra pour préparer l’enregistrement de ce concentré d’histoire. Bice Béatrice Slama est résolument politique et profondément littéraire. Une vie discrète qui a traversé activement le 20ème siècle. Je voulais le retraverser avec elle. Je voulais lui donner tout l’espace, toute la durée du film. Je l’ai prévenue qu’elle serait la seule intervenante du long-métrage et je serai seule derrière la caméra.
Béatrice restera en vie jusqu’à la fin du film. Pendant que je montais le film à Montréal, elle m’alertait de temps en temps qu’elle ne pouvait plus attendre. Je suis allée lui montrer le film en septembre 2018, je me suis allongée auprès d’elle sur son lit médicalisé. Elle a regardé sans interruption les 97 minutes. Elle m’a regardée et m’a pris la main. Bice Béatrice Slama est morte quelques jours après.
Elle me disait que nos vies, nos corps finissent et qu’il n'y a plus rien après, ni au-delà ni ciel. Elle parlait de la mort avec évidence, sans crainte. Pendant le tournage du départ de la Tunisie, elle m’a dit : « Au moment du départ, la première chose que je me suis dite : Mais je ne serai pas enterrée au Borgel ! » Les larmes me sont montées, j’ai baissé la tête, on ne voulait pas de larmes dans le film, elle a repris la parole avec sa sobriété habituelle. Cette phrase et les autres qui lui ressemblent, ne sont pas dans le film ; elles sont dans le hors champs, dans une présence souterraine qui traversent tout le film. Béatrice m’a inspiré cela : ne pas trop dire, ne pas trop montrer, mettre notre histoire dans la grande Histoire. Tenir nos douleurs à l’arrière-plan pour laisser place à l’avenir. Et devant l’effondrement des idées qui l’ont portée, elle continuait à dire : « J’ose espérer un sursaut d’humanisme. »
Réalisation / Image / Montage : Hejer Charf
Assistante sur le film et coordinatrice de production : Nadine Ltaif
Montage son et mixage : Patric Favreau
Montage en ligne : Yannick Carrier
Titres et conception graphique : Cynthia Ouellet
Infographie : Mélanie Bouchard - Jacques Bertrand Simard
Technicienne au montage numérique : Isabelle Painchaud
Technicien au son numérique : Sylvain Cajelais
Coordonnatrice de postproduction (ACIC) : Marie-Christine Guité
Productrice (ACIC) : Johanne Bergeron
Musique : Chris Zabriskie -Claudio Monteverdi - Vivaldi- Rachmaninov – Chants révolutionnaires – Berlioz - Saliha
Produit par Nadja Productions Inc. avec l’Aide au cinéma indépendant du Canada de l’Office national du film du Canada (ACIC /ONF
Béatrice un siècle