Deux vies pour l’Algérie et tous les damnés de la terre

En 1994, à plus de soixante-dix ans, Gilberte et William Sportisse, menacés par le FIS, arrivent d’Algérie. De confession juive, lui de langue maternelle arabe, ils forment un couple de combat, commencé pour l’indépendance de l’Algérie, toujours d’une foi inébranlable en l’humain. Ils aiment raconter la participation des Juifs algériens à la seconde guerre mondiale et à la lutte pour l’indépendance de l’Algérie. Ils nous livrent des informations inédites sur les luttes publiques et clandestines du Parti Communiste Algérien avant et après l’indépendance, et sur la répression des militants qui, comme William et Gilberte Sportisse, ont été torturés et emprisonnés après l’accession au pouvoir du colonel Boumédiène. Le film est une ode à la compréhension entre les peuples d’origines ou de cultures différentes et un hommage à un couple dont la jeunesse de caractère et l'enthousiasme étonnent encore.

LE FILM VU PAR LES MUTINS

 À travers la vie de Gilberte et William Sportisse, auxquels on s’attache dès les premières minutes, comme si on était la famille, le film de Sandrine-Malika Charlemagne et Jean Asselmeyer éclaire cette histoire non dite de l’Algérie, complexe, passionnante, émouvante. Comme dans les grandes histoires de guerre et de résistance, les êtres se révèlent dans leurs engagements. Ce couple exemplaire est touchant, drôle, lumineux et d’une force d’expression exceptionnelle. Cela parait incroyable, mais on apprend à la fin qu’ils étaient centenaires au moment du tournage du film. Il faut croire que la lutte conserve bien ! De leur histoire, nous comprenons mieux l’histoire de nos deux pays, liés à la vie à la mort, sans concession, avec un regard juste et une grande rigueur historique. On y retrouve notamment l’historien Alain Ruscio qui connait très bien le sujet (1). On retrouve aussi des images tournées dans le maquis algérien pendant la guerre par René Vautier (il était un des rares cinéastes à filmer, le seul souvent, au point où l’armée française a tiré sur sa caméra et qui a fait de lui le seul cinéaste avec un bout de caméra dans le crâne…). Jean Asselmeyr connaissait bien René Vautier, et il y a ici le prolongement d’une démarche que n’aurait certainement pas reniée le cinéaste breton.

De l’histoire de la guerre pour l’indépendance de l’Algérie, nous n’en finissons pas d’apprendre. Il faut dire que les pouvoirs n’aiment pas qu’on raconte ces histoires, surtout quand il y a de vrais communistes dans le coup et que les pouvoirs ne se sont pas hissés à la hauteur de l’idéal qu’ambitionnent les peuples, surtout quand les protagonistes savent partager leur enthousiasme à la lutte, surtout quand l’histoire touche à notre temps présent (le film termine sur le mouvement Hirak, réprimé en Algérie). Alors ce genre de film ne peut être produit qu’en totale indépendance. Celui-ci a été fait par des cinéastes documentaristes très expérimentés et le soutien d’une souscription modeste qui a quand même permis d’aller au bout. Quand on a la chance de voir un tel documentaire, il faut vraiment prendre conscience qu’il a fallu des années et beaucoup de volonté et même d’acharnement qu’il arrive jusqu’à vous. Ce n’est pas un simple produit télévisuel bâclé ou formaté.    Ne laissez donc pas ce film vous passer sous le nez… D’autant que c’est un film qui donne du courage à la lutte, ce qui n’est pas un luxe par les temps qui courent.

(1) Cf. Les Communistes et l’Algérie. Des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962, d’Alain Ruscio, La Découverte.